La voie de pauvreté

C’est dans l’ordre des moyens la voie principale et la plus immédiate de la spiritualité scoute, fondée sur la pratique du camp ou de la route, le mépris du “monde”, l’appel de la montagne, de la forêt ou du désert (raid, woodcraft, goum…) . C’est aussi l’appel du silence, car “c’est le silence qui commence les saints, c’est lui qui les continue, c’est lui qui les achève” (saint Bernard) .
“Les scouts, au temps de leur “vérité”, disait le père Revet (fondateur de la Sainte-Croix de Riaumont), ont toujours eu une connaturalité, une sympathie profonde pour les moines  :

  • qui se retirent du monde pour chercher Dieu,
  • qui travaillent et prient dans la beauté,
  • qui gardent une âme d’enfant jusqu’à leur dernier jour, dans la paix et dans la joie.”

Car la voie de pauvreté est le plus sûr chemin de la voie d’enfance. La route, elle, ne ment pas ! C’est une école d’humilité, de vérité, d’étonnement, d’émerveillement… de sainteté joyeuse, parce qu’il n’y a pas de saint triste !
Et le Père Revet d’ajouter  : ” Le Christ a aimé le jeune homme parce qu’il était généreux et il lui a proposé de suivre “la Route, la Vérité et la Vie”   : “Si tu veux être parfait, viens, vends tout ce que tu possèdes et suis-moi” […] pour être “Sainte-Croix”, il faudrait d’abord savoir mener durement son corps. Là, à chacun de trouver son style. Les vertus chevaleresques puisent leur racine dans cette ascèse. ”
L’aumônier national des Scouts de France qui a le plus illustré et développé cette voie là pour les routiers est sans doute le père Paul Doncœur  :
” Sur la route, on se sent peu à peu, chaque jour, chaque minute, devenir un homme nouveau, neuf.
Routier, campeur, ta joie a été de découvrir un jour que, pour adorer Dieu, il n’était pas nécessaire de s’enclore dans une chapelle sombre, sans air, sentant le renfermé. Que pour être fils de Dieu, pratiquer les vertus et singulièrement les théologales, il n’était pas nécessaire de vivre reclus, derrière des grilles. Et ta joie a été profonde quand tu as découvert que l’Évangile n’était pas un livre d’école, mais un livre de plein air. ” ( La Route , 15 juin 1943) .
” La spiritualité scoute, écrit Philippe Verdin, ne pointe pas un gros doigt didactique sur les moments de la vie scoute qui imite la vie du Christ. Elle ne procède pas par grossières leçons mais par infusion. Sans rien dire, la vie scoute fait refaire aux garçons la route, les gestes et les rencontres que fit Jésus il y a deux mille ans. En plongeant le scout dans le sillage du Christ, elle prend une longueur d’avance sur les meilleures méthodes catéchétiques. ” (p.38).
” Les scouts, ajoute t-il, vivent à la manière des Apôtres qui ont cheminé sur les routes de Palestine, dormi à la belle étoile, dressé des tentes le jour de la Transfiguration. C’est une spiritualité qui requiert la simplicité et qui se fait une gloire de la pauvreté de ses moyens, qui s’épanouit dans la paix de la campagne et reconnaît Dieu à travers sa Création. Quand on a fait un séjour en Terre sainte, on ne lit plus jamais la Bible comme avant ; quand on a participé à un camp de louveteaux ou de guides, la manière de vivre la Foi n’est plus jamais comme avant. ” ( Famille chrétienne du 11 au 17 mai 2002) .
D’où cette spiritualité de plein air ou de plein vent — que le Père Doncœur mit en œuvre aussi avec ses Cadets sur les routes du vieux monde — qui n’est pas sans rappeler la spiritualité franciscaine, et qui ne va pas sans une certaine ascèse ordonnée à la vie contemplative. Car la contemplation prime toujours sur l’action, fut-elle dans la nature. Mais l’une appelle l’autre, comme l’ ora et labora des moines. C’est la spiritualité du départ routier, la spiritualité de la Route définie aussi par le franciscain Joseph Folliet. Mais cette vie de plein air, ces “ retraites fermées à ciel ouvert ” que constituent les camps ou les routes sont déjà essentiels pour le Père Sevin avec le thème de la Tente, ces ” frêles toiles ” que roule indifféremment l’ homo viator après chaque passage, aussi libre et détaché qu’un berger nomade, quittant à chaque fois ses habitudes  :

Le scout n’est-il pas, par définition, l’homme qui campe et décampe (sans jeu de mots), c’est-à-dire l’homme qui est toujours libre, dégagé, “expeditus”, prêt à partir, prêt à s’installer et toujours provisoirement au gré des circonstances, c’est-à-dire de la Providence ? […] Eh bien, si nous campons, si nous faisons camper nos garçons, ce n’est pas simplement pour les mettre en contact avec la nature, source première de toute éducation, c’est aussi et finalement, surtout peut-être, pour leur donner et leur imprimer pour toute la vie, cette mentalité de campeur, c’est-à-dire d’homme vraiment libre, indépendant du sol, des lieux et des biens, de l’homme qui ne tient à rien, pas même à sa tente, et qui, par conséquent, est toujours prêt.

Pour penser scoutement , 1932, p. 159

[…] ” Partant souvent du spectacle de la nature, leur oraison (aux scouts) sera plus facilement contemplative et affective ” (Père Sevin) . La messe en plein air, préparée avec soin et dans un cadre idoine, sera au cœur de cette ” liturgie scoute “. Le Père Sevin reconnaît aux scouts ” une manière de prier, leur prière vocale, plus volontiers liturgique ” (avec les complies) . Quand elle est extra-liturgique, cette manière de prier est ” très souvent scripturaire d’origine et d’inspiration toujours plus simple, plus directe, plus évangélique (paraboles, emprunts à la vie quotidienne scoute) . Les scouts ont leurs prières, leur cantiques… ” ( Notes sur la ” Spiritualité scoute ? ” du Père Sevin) . Il y aussi les dévotions proprement scoutes (envers Jésus considéré comme le Grand Frère, le Compagnon, le Divin Chef, le Berger Divin…, envers Notre-Dame des éclaireurs et de la Route, envers saint François, saint Georges, saint Paul, saint Jean-Baptiste…) leurs gestes comme le chant de la prière scoute au ” toujours prêt ” , l’heure route…

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