Introduction : la flamme scoute

La flamme scoute, allumée il y a près d’un siècle par un général britannique du nom de Baden-Powell, devait s’embraser en un phénomène sociologique unique en son genre. Comme un feu de savane un jour de grand vent, le scoutisme par son attraction formidable, enflamma le cœur de millions d’adolescents de toute la terre, de toutes les cultures, de toutes couleurs. Mais, en France, de l’aveu même de Baden-Powell, il prit rapidement une dimension supérieure, une qualité particulière, grâce au catholicisme.
Dès le départ, certains catholiques devinèrent en effet le génie d’une méthode éducative renouant avec le réalisme chrétien et en rupture salutaire avec la pédagogie idéaliste dominante. Plus encore, ils pressentirent que le rayonnement universel du scoutisme dépassait, de loin, le monde de l’adolescence. Ils y virent, avec le secours de la grâce, le germe d’une spiritualité authentique capable de féconder une chevalerie nouvelle, un “ordre scout” au service de la société. Et de fait, il y eu bien de cela…
Ceux-là mêmes qui le comprirent, le réalisèrent et le vécurent comme une simple ébauche, font désormais partie des “grands ancêtres” des Scouts de France. Il appartiennent à cette race de “pêcheurs d’hommes” dont la vie et les œuvres ont marqué des générations entières  : le père Sevin, le chanoine Cornette, Antoine de Macédo, Paul Coze, les généraux de Maud’huy, de Salins, de la Porte du Theil, le père Doncœur, le père Forestier… Sans parler des Larigaudie, Dalens, Foncine, Joubert et de tant d’autres, connus ou moins connus, qui participèrent de leur manière, avec talent ou héroïsme, au fleurissement de cette geste chevaleresque du XXème siècle.
Si, sur les légions de promesses prononcées depuis qu’existe ce scoutisme catholique, beaucoup furent oubliées, emportées par la vie et ses difficultés, combien d’autres pourtant touchèrent en profondeur les cœurs et plus encore les âmes. Les Scouts de France furent une semence de vocations religieuses, militaires, familiales… partout où le don de soi n’est pas un vain mot.
En outre, le monde actuel, aussi bien dans le milieu politique qu’au sein des milieux les plus divers des arts, du spectacle, du journalisme, de la littérature, des sciences, de l’entreprise…, regorge encore d’ancien scouts qui occupent pour la plupart des postes à responsabilité… Le scoutisme catholique, s’il ne put réformer visiblement la société en profondeur, comme le rêvait ses fondateurs, fut à cet égard une véritable école de chefs.
Malheureusement, la marche du temps, la crise de l’Église et de la société, les aggiornamentos et les sécularisations de toutes sortes ont créé depuis 1960 environ les conditions regrettables de divisions et de morcellements. Et le scoutisme éclaté, affaibli, oublié, trahi, mais non point vaincu, traverse aujourd’hui une pénombre bien pénible. Le feu, après avoir jailli en bouquet d’étincelles, s’est considérablement ralenti et, au petit matin, il n’en reste que des braises rougeoyantes que le moindre souffle provoque.
Sans vouloir discuter sur les moyens de faire reprendre ce feu, nous constatons simplement qu’il est loin d’être éteint et que, pour ceux qui maintiennent fidèlement ses braises, il n’a certainement pas perdu en qualité ce qu’il a perdu en extension. C’est la raison pour laquelle nous voulons encore le célébrer, faire connaître ses richesses et ses vertus à ceux qui ont la chance de le pratiquer ou la curiosité de s’y intéresser, afin qu’ils mesurent mieux l’espèce de levier d’âmes et de reconquête que constitue toujours le scoutisme catholique dans son essence propre. “Meilleur scout parce que catholique, meilleur catholique parce que scout” , résumait le chanoine Cornette.
À cet égard, les scouts traditionnels sont à l’esprit du scoutisme catholique ce que sont les moines de stricte observance à la règle primitive de leur ordre  : les gardiens et les bénéficiaires d’un fameux dépôt, qui a fait ses preuves et qui n’a sans doute pas dit son dernier mot (comme le montre l’histoire des moines d’Occident) pour peu qu’on sache respecter ses éléments fondamentaux. Gardons le scoutisme, et le scoutisme nous gardera” , recommandait le père Sevin.
Le propre du scoutisme catholique, c’est cette assimilation intelligente des intuitions de Baden-Powell et leur transfiguration par la grâce. Mais une transfiguration sans déformation ! Comme saint Thomas avait opéré ce miracle de “dégager de l’Aristote historique, une pure forme aristotélique bien plus purement aristotélique qu’Aristote lui-même ne l’a connue” (selon l’un de ses disciples), le père Sevin réussit ce prodige de présenter à Baden-Powell un scoutisme plus scout encore qu’il ne l’avait rêvé ! Le père de Chivré a bien décrit cela  :

Le scoutisme est une méthode d’éducation qui s’est présentée à l’Église comme une possibilité d’être une méthode de transfiguration complète de la vie intérieure du garçon, par les courants surnaturels de la grâce et de la doctrine galvanisant les éléments naturels spirituels déjà si beaux, de l’honneur, de la loi, de la promesse faite officiellement “devant Dieu”.
Nous avons marché pour voir si la méthode allait faire de nous des pleinement jeunes et des pleinement chrétiens. Nous nous sommes affirmés surnaturels avec une méthode naturelle prédisposée au surnaturel , et les résultats sont les suivants  : des vocations sacerdotales, religieuses en vrac, aussi bien chez les jeunes gens que chez les jeunes guides à tel point que je ne pense pas tricher en affirmant qu’aucun mouvement d’Action catholique n’a autant ravitaillé l’Église, les séminaires et les couvents que le scoutisme catholique…
“Sur mon honneur et avec la grâce de Dieu…” La grâce de Dieu ça ne se découvre pas, ça se reçoit à genoux. Ces faits n’ont d’autre but que de vous souligner dans le scoutisme d’autrefois un accent surnaturel qui en expliquait la fécondité humaine, catholique et sociale…

Les fondements du scoutisme catholique ce sont précisément sa pédagogie et sa philosophie ainsi que sa théologie et sa spiritualité. Quatre voies d’accès au scoutisme catholique que nous nous proposons d’approfondir un peu dans cet ouvrage, en reprenant un enseignement donné à des maîtrises, et en supposant déjà connus les grands points de l’histoire et de la méthode du scoutisme, ainsi.que les divers mouvements catholiques en présence aujourd’hui (cf. La mémoire du scoutisme , Duquesnes diffusion) .
La quintessence du scoutisme catholique c’est évidemment sa spiritualité qu’incarne aujourd’hui, en particulier, la famille religieuse de la Sainte-Croix de Riaumont fondée par le père Revet dans le sillage du père Sevin. Le fait est  : le fleuron du scoutisme, son ordre chevaleresque et religieux, croît aujourd’hui sur les braises — encore très chaudes ! — du scoutisme effondré mais bien vivant. Sans doute pour lui redonner une architecture et une âme dignes d’un feu de la Saint-Jean, dignes du feu de la chrétienté  : “Scoutisme : résurrection !” , comme on aime clamer à Riaumont. Le flambeau sera transmis, nous en avons l’espérance…

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