Chevalerie et ordre

Déjà, BP consacre le bivouac VII entier , c’est-à-dire un chapitre de son livre Éclaireurs , aux chevaliers , modèles par excellence d’esprit scout. Mais les SdF appuient davantage encore cette notion : ils entendent réellement reconstituer une chevalerie des temps modernes. On a déjà vu que le père Sevin avait introduit dans la loi le devoir pour le scout de se montrer chevaleresque. C’est la raison pour laquelle les SdF gardent le terme de scout, tandis que les autres associations françaises le traduisent par éclaireur. En effet, le terme d’éclaireur a une connotation militaire qui entraîne le garçon à observer et approcher discrètement, ce qui exige une bonne connaissance de la nature, le sens des responsabilités, et un tant soit peu de débrouillardise. Mais le terme de scout vient du vieux français, comme le montre une définition, souvent répétée par les SdF, de Froissart, chroniqueur de saint Louis.Les escoutes étaient des hommes de dévouement que l’on envoyait aux avant-postes -aux postes d’écoute- et dont la mission consistait à éclairer la marche d’une armée, quitte à se sacrifier pour le salut de tous” (Froissart, cité par le père Sevin, s.j., Le Scoutisme , Spes, Paris, 1922, p.11).

Voilà l’atmosphère chevaleresque, son époque et son idéal d’emblée retracés par le nom de scout. Dans Le Scoutisme , le père Sevin explique bien que les SdF doivent s’efforcer de franciser tout le domaine imaginaire par lequel la pédagogie de BP fait vibrer l’âme des garçons. Si la tentative de remplacer le Livre de la jungle par un conte autochtone avorte, la chevalerie française fournit largement de quoi exalter la branche éclaireur. ” La Chevalerie de Léon Gautier, les Récits des temps mérovingiens , les Martyrs , voilà donc où le scoutisme français et catholique ira puiser les élément d’un folklore véritablement national” (Père Sevin, s.j., Le Scoutisme , Spes, Paris, 1922, p.134). Le choix de la croix potencée provient du même modèle chevaleresque. “La croix est celle que Godefroy de Bouillon, premier Roi latin de Jérusalem, portait sur son blason. Croix française, croix de chevalier, il convenait qu’elle fût celle des SdF” (Père Sevin, s.j., Pour devenir SdF , Spes, Paris, 1931, p.23).

Certains modèles sont même à éviter, du moins dans une utilisation abusive, comme les Indiens. Le père Sevin ne condamne pas seulement, à la manière de B. P., les excès du peau-rougisme, mais il déconseille même de trop utiliser leur folklore pendant les fêtes et les veillées. Paul Coze, lui, en est particulièrement féru, et il aime recréer l’ambiance des camps indiens, se déguiser, imiter leurs danses… Il devient d’ailleurs ethnologue et passe beaucoup de temps parmi les Indiens d’Amérique. Justement, il finit par se brouiller, en 1934, avec l’Association, qu’il accuse d’avoir abandonné l’authentique méthode de BP pour transformer le mouvement scout en œuvre catholique. (cf fonds d’archives de Paul Coze, au laboratoire scout de Riaumont, lettre du 5 mai 1934). Le père Sevin se montre donc formel : dès le quatrième numéro du Chef , il écrit un article intitulé indianisme et chevalerie“, dans lequel il hiérarchise clairement les valeurs. Il ne faut pas confondre la nature primitive, telle que Dieu l’a crée à l’origine et que tout catholique doit s’efforcer de retrouver, avec la sauvagerie , décadence après perte de la tradition primordiale. L’indianisme, acceptable comme simple folklore amusant, peut aussi devenir rapidement subversif.

Double erreur, ici encore : erreur historique, car les sauvages ne sont pas des primitifs, mais des dégénérés, erreur morale, car si les vertus naturelles existent, il est néanmoins certain que l’homme ne peut observer la loi morale sans la Grâce. La philosophie qui est au fond de l’indianisme, c’est le naturalisme […] Ce qui fait le scout, c’est avant tout l’âme. En ce sens donc, le chevalier et non l’Indien est le premier scout […] Au moral donc, il n’y a et ne doit y avoir aucune différence entre une âme de scout et une âme de chevalier.

Père Sevin, in Le Chef n°4, juin 1922, p.58-59

Bien entendu, les chevaliers ne campaient pas et ne vivaient pas dans les bois avec les seuls moyens de la nature. C’est pourquoi le modèle indien s’avère tentant. Mais les SdF se passent de retracer une atmosphère imaginaire dans le domaine technique, que la vie scoute suffit à développer. Ils appuient tous leurs efforts d’exaltation du garçon sur l’esprit de la chevalerie.
D’ailleurs, la surnaturalisation de la méthode de BP par les prêtres catholiques français rappelle la démarche de l’Eglise face à la féodalité. Ce parallèle historique ne manque pas d’encourager davantage encore les SdF, lorsqu’ils considèrent les bienfaits de la chevalerie et les saints qu’elle a formés. Car, avant l’intervention de l’Eglise, les rapports féodaux, fondés sur les serments et l’honneur, la protection et le service, constituent un fondement naturellement bon, que les ecclésiastiques du XIème siècle ont surnaturalisé pour élaborer la chevalerie. “C’est un peu à l’exemple de ce que fit au Moyen-Age l’Eglise pour ce terrible jeu de la guerre entre seigneurs de ce temps-là, en instituant la chevalerie, qu’a procédé le scoutisme” (Mgr. Bruno de Solages, in BdL n°58, mai 1935, p.262). Et de même que le Pape Urbain II décide de détourner les seigneurs de leurs querelles intestines en les envoyant reconquérir le Saint-Sépulcre, les SdF profitent de l’ardeur de la jeunesse catholique pour l’envoyer rechristianiser la France d’après guerre. Le chant “O croix des scouts” fait bien le rapprochement entre cette reconquête spirituelle du pays et l’idéal chevaleresque :

Une croisade nous appelle,
Au secours de la Vérité,
Un scout doit combattre pour elle,
Toujours prêt et jamais lassé.

“O croix des scouts”, de 1924 in Père Sevin, s.j., Les chansons des SdF, Spes, Paris, 1936, p.26

En fait, la situation de la France , où l’Etat a pris sa totale indépendance par rapport à l’Eglise, se trouve comparée aux royaumes infidèles à convertir !
Or la chevalerie, qui allie les vertus viriles d’honneur et de bravoure avec les motivations religieuses, donne le courage de cette nouvelle croisade. Et l’abbé d’Andréis, lui qui avait choisi la croix de Malte comme insigne, donne le but principal du scoutisme en montrant que le retour aux vertus chevaleresques constitue le moyen de conquête le plus adapté.

Vous me demandez, dans ce message, un mot d’ordre; je vous le crie bien fort à travers toute la France : “vers la chevalerie !” . À cette heure grave où la Matière dispute à l’Esprit les destinées du monde, nous avons besoin d’une élite. Vous serez cette élite de l’Esprit. Par votre vie chrétienne intense, éclairée, loyale, vous montrerez le chemin de la Vérité qui fait les hommes libres et grands. À l’école du divin Maître, vous apprendrez aux générations qui l’oublient le véritable honneur et le courage

Abbé d’Andréis, in Le SdF n°2, févr.1923, p.27

Et la prière du scout associe aussi ces vertus à leur sens catholique. “Sans peur et sans reproche, l’âme virile et le front haut : c’est ma promesse de chrétien et de scout. Sur mon honneur, je n’y faillirai pas, confiant, Seigneur Jésus, en votre amour et en votre Grâce” (Prière du scout, in Le SdF n°5, mai 1923, supplément). Et c’est bien parce que les qualités chevaleresques ont disparu de la société que la religion a suivi, car les hauts sentiments s’avèrent le gage de la fidélité à Dieu, de même que la nature sert de fondement nécessaire à la Grâce. Les scouts, “ce sont les successeurs des chevaliers, dont ils partagent la grande Foi, le sentiment de l’honneur, le dévouement aux faibles, à la place de qui ils montent, dans un siècle où c’est si nécessaire, la garde au chemin de l’honneur et du devoir” (J. D., in Le SdF n°17, mai 1924, p.44). La chevalerie associe donc remarquablement de magnanimes vertus naturelles avec tout un contexte spirituel, celui des croisades. Le Chef précise à leur sujet : “Il ne s’agit pas de tailler des duchés et des royaumes […] , mais ce qui a fait vibrer, tressaillir la chrétienté, c’est la grande pitié du Saint Sépulcre et des pèlerins de Terre Sainte, et saint Louis, en se croisant, songeait moins à conquérir qu’à convertir” (in Le Chef de janv.1933).

C’est pourquoi les SdF cherchent à reconstituer l’atmosphère chevaleresque, qui replace les vertus scoutes dans le cadre religieux et leur donne ainsi toute leur valeur. Car la loi scoute préconise bien le même genre de qualités. “La loi présente des similitudes frappantes avec le code des Compagnons du Roi Arthur, le code de la chevalerie, et avec les règles de la Guilde de saint Georges” (Père Sevin, s.j., Le Scoutisme , Spes, Paris, 1922, p.44). Et cette reconstitution de l’atmosphère chevaleresque, pour surnaturaliser les vertus scoutes, passe notamment par le vocabulaire. Par exemple, le premier couplet du chant de promesse fait du scout l’homme lige de Dieu , comme l’adoubement médiéval.

Devant tous je m’engage
Sur mon honneur
Et je Te fais hommage
De moi, Seigneur.

“Devant tous je m’engage”, de 1921 in Père Sevin, s.j., Les chansons des SdF , Spes, Paris, 1936, p.216

D’ailleurs, l’académicien Georges Goyau, féru de chevalerie, et auteur du livre Une chevalerie moderne , appartient au Comité de soutien des SdF dès la fondation, en 1920, car il y reconnaît le véritable esprit chevaleresque. De plus, il préface Le scoutisme du père Sevin et montre que l’éducation totale du garçon, selon le principe d’hylémorphisme, remonte bien à la conception médiévale de la formation catholique. “L’Eglise, au temps de la chevalerie, régnait, au nom même (de) sa juridiction morale, sur l’homme tout entier. Elle voulait régir le muscle en même temps qu’elle régissait l’âme : ou, pour mieux dire, elle soumettait le muscle à l’âme, et l’âme au Christ” (Georges Goyau, préface du Scoutisme du père Sevin, Spes, Paris, 1924, p. VIII) .

Mais c’est vraiment le cérémonial de l’adoubement comme chevalier de France (A. Rédier, Cérémonial des SdF, éditions des SdF, Paris, 1929, p.71 à 74), niveau le plus élevé de la progression scoute, qui reproduit de façon flagrante le cadre chevaleresque. Le chef lit les conseils de la mère de Bayard à son fils partant pour la cour de Savoie. “D’autant que mère peut commander à son enfant, je vous commande deux choses tant que je puis. […] . La première, c’est que devant toutes choses, vous aimiez, craigniez et serviez Dieu, sans aucunement l’offenser. La seconde, c’est que vous soyez doux et courtois à tous gentilshommes, en ôtant de vous tout orgueil.” L’aumônier dit à haute voix une prière : “Vous qui avez suscité naguère l’ordre de chevalerie et qui nous permettez de la restaurer aujourd’hui, pacifique, fraternelle et toute sainte […] accordez […] que de même que X a franchi tous les degrés de la formation scoute, il dépouille totalement le vieil homme pour revêtir à jamais l’homme nouveau et la splendeur de Grâce du chevalier chrétien.” La cérémonie imite alors assez exactement celle de l’adoubement médiéval, à la nuance près que l’épée est remplacée par le bâton scout. Le chef en frappe l’épaule droite du scout : “Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, de Notre-Dame, de saint Louis et de saint Georges, je te fais chevalier.” Puis il lui donne un soufflet de la main gauche. Enfin, le nouveau chevalier adresse une prière à monseigneur saint Louis : “Prince au grand cœur, ne permettez pas que je sois jamais médiocre, mesquin ou vulgaire, mais partagez-moi votre cœur royal, et faites qu’à votre exemple je serve Dieu à la française, royalement.” Les rôles mêmes du chef et de l’aumônier rappellent l’esprit de la chevalerie médiévale : c’est le chef qui adoube, car la chevalerie est l’engagement d’un laïc envers un autre laïc déjà initié. Le prêtre garantit la vocation spirituelle de cet engagement.

Mais toute cette atmosphère recréée ne cherche pas seulement à frapper l’imagination des garçons pour qu’ils s’inspirent du modèle chevaleresque. Il s’agit pour les SdF de fonder une nouvelle chevalerie, et pour le scout d’acquérir réellement l’esprit chevaleresque. Certains considèrent l’attrait du scoutisme catholique français pour la chevalerie dans la lignée du romantisme qui, au XIXème siècle, remet le Moyen-Age à l’honneur. Mais l’entreprise des pères fondateurs des SdF ne s’inscrit justement pas dans cette vague de rêves sans réalisations concrètes, de fascination face à une époque dont on ne tire aucune leçon pour le monde actuel. Au contraire, les SdF ne veulent pas s’en tenir au domaine imaginaire, ils veulent réellement fonder une chevalerie des temps modernes, à la fois fidèle à l’esprit médiéval et adaptée aux besoins du XXème siècle. Le père Sevin souligne bien la différence avec le romantisme :

Veillant à éviter tout ce qui serait parade et littérature, nous pensons que ce qui constitue le chevalier, à toutes les époques et sous toutes les latitudes, c’est

  • l’ honneur
  • la force au service de la faiblesse
  • l’inaptitude aux reculades
  • le luxe d’en faire en tout plus qu’il n’en faut.

C’est comme cela que nous avons compris le scoutisme” (Père Sevin, s.j., Positions sacerdotales, document dactylographié).

La méthode de BP doit donc former des garçons concrètement prêtes à la croisade à laquelle le XXème siècle les appelle. Le chanoine Cornette leur fait remarquer : “Cette loi […] veut forger en vous des âmes de chevaliers et ces vertus ont été particulièrement mises à l’honneur par la chevalerie de jadis” (Chanoine Cornette, in Le SdF n°1, janv.1923, p.2). La rubrique ” nos modèles ” de la revue destinée aux scouts présente, dans l’un de ses premiers numéros, Roland, chez qui les vertus chevaleresques vont de paire avec la Foi. “Sa piété est remarquable. En vrai chevalier, il a confiance en Madame Marie. Il meurt pieusement comme il a vécu […] Il meurt d’ailleurs en combattant les Sarrasins, c’est-à-dire les ennemis de Dieu et de l’Eglise” (in Le SdF n°5, mai 1923, p.107). Or les modèles chevaleresques ne se restreignent pas au Moyen-Age, et le général de Maud’huy, premier Chef scout de la Fédération, décédé après quelques mois de fonction, figure parmi ces héros. Lors du premier camp national, en 1922, les troupes sont regroupées en quatre clans : Roland, Bayard, Duguesclin et Maud’huy ! De même, il figure, dans le cérémonial d’adoubement, à la suite de la liste des chevaliers à imiter.

On considère donc les SdF comme la véritable “résurrection d’une chevalerie faisant revivre dans notre société contemporaine, un idéal très chrétien et très français, par où la France, reprenant ses traditions puisées au baptistère de Reims, réaliserait, selon le vœu du Saint-Père : gesta Dei per Francos (Les gestes de Dieu par les Francs : il s’agit du titre de l’ouvrage sur le début de la croisade. Souvent reprise, cette expression est utilisée par Pie XI dans sa lettre approbative de 1921 pour définir le but des SdF)” (R. M. Lhopital, in Le Chef n°102, avr.1933, p.255). On en vient à parler des SdF comme d’un ordre de chevalerie.Une organisation extérieure, parfaitement hiérarchisée, et adaptée à souhait aux aspirations et aux besoins de ceux qui en font partie : voilà l’ordre. C’est dans ce sens qu’on a parlé d’ordre romain, d’ordre de chevalerie. C’est dans ce sens aussi que nous parlons d’ordre scout” (Père Maréchal, o. p., SdF et ordre chrétien, Desclée de Brouwer, 1934, p.19).

L’ordre scout : voilà la grande idée du père Sevin. Mais il ne l’entend pas tout à fait dans le sens d’un ordre de chevalerie. C’est en janvier 1931 qu’il expose dans Le Chef sa conception. Laissons-le s’expliquer. “Nous nous trouvions là en présence d’âmes d’une qualité nouvelle, d’un monde spirituel à part, d’un certain ensemble de pensées, d’aspirations qui tendent à se répandre à s’imposer à l’attention et aux mœurs et vont à faire régner dans la société contemporaine un certain ordre intellectuel, moral et pratique, qui, procédant du scoutisme, ne pourrait mieux se définir que par le terme d’ordre scout, au sens où l’ordre français régnait en Europe au siècle du Grand Roi, où l’ordre romain informait le monde à l’époque de la naissance du Christ […] L’ordre scout, c’est la hiérarchie des choses telle que le scoutisme la suppose, la veut ou la fait […]  Nous n’avons rien inventé, et c’est cette identité essentielle avec l’ordre du christianisme, avec l’esprit du christianisme qui fait notre seule force, notre seule valeur. Mais l’esprit de François d’Assise est bien l’esprit de Jésus-Christ, et nul ne songe à contester l’orthodoxie et l’originalité de la joie franciscaine. Mais toutes les grandes familles spirituelles qui au cours des siècles ont pris naissance, familles bénédictine, carmélitaine, dominicaine, ignatienne et les autres, toutes certes avaient leur esprit propre et toutes avaient et ont toujours le seul esprit du Christ et de l’Eglise […].  C’était toujours le seul et même ordre chrétien qu’à leur façon elles réalisaient” (Père Sevin, in Le Chef n°79, janv.1931, p.2 et 5).

Deux idées principales nous semblent ressortir de cet article. En effet, le père Sevin voit l’ordre scout à deux niveaux. Premièrement comme une mentalité qui influencerait toute la société. Deuxièmement comme un ordre religieux . La première notion est largement répandue parmi les aumôniers scouts de l’entre-deux-guerres. Le père Maréchal cultive cette idée dans SdF et ordre chrétien , publié en 1932, dont la préface, du chanoine Cornette, s’intitule “vers un ordre scout”, titre repris de l’article du père Sevin. Le père Forestier imagine bien, lui aussi, que le scoutisme pourrait se répandre dans toute la société et marquer profondément son époque de sa spiritualité. D’autant plus qu’il écrit ces lignes en 1940, alors que de nombreux scouts arrivent à des postes de décision, notamment dans le régime de Vichy. “Bien appliquée en son esprit et ses moyens, la méthode scoute, mise au service de l’idéal chrétien, devrait former une génération qui, sans tout bouleverser, ni tout remplacer, serait une de ces élites comme il en a surgi toujours dans l’Eglise et qui émergent sur la monotonie de l’histoire. L’importance de son apparition pourrait faire songer, dans l’avenir, à ce que fut la naissance des tiers-ordres franciscains et dominicains au XIIIème siècle” (Père Forestier, o. p., Scoutisme, méthode et spiritualité , Le Cerf, Paris, 1940, p.21).

Quant au père Sevin, une fois acculé à la retraite par son éviction en 1933, il poursuit son idée d’ordre religieux issu du scoutisme. Il fonde en janvier 1944, à Boran sur Oise, les Dames de la Sainte Croix de Jérusalem (pour les cheftaines et les guides), dont le nom rappelle l’idéal chevaleresque. Avant d’avoir pu ouvrir une branche masculine, il confie ses filles, en mourant, à Mgr. Rupp, aumônier scout de la première heure, qui pousse alors le père Revet à fonder la Sainte Croix de Riaumont (pour les scouts), en 1960. Ces deux ordres, reconnus canoniquement par Rome, existent toujours. Dès l’entre-deux-guerres, de nombreux aumôniers soulignent le gain spirituel que leur apporte le scoutisme par rapport à leur sacerdoce, antérieur. La spiritualité scoute s’avère bien autre chose qu’un simple jeu d’enfants . Comme on l’a déjà vu, beaucoup d’aumônier choisissent de prononcer leur promesse, “considérant bien l’idéal et les vertus scoutes comme un trésor dont toutes les âmes, même les âmes de prêtres, ont intérêt à s’enrichir” (Abbé Rupp, in Le Chef n°137 n° spécial, nov.1936, p.46), comme le dit l’abbé Rupp dès 1936.

Autre exemple de l’importance de la spiritualité scoute dans un ministère sacerdotal : l’abbé Richaud, aumônier à Versailles dès la fondation de la Fédération, choisit, lorsqu’il est sacré évêque en 1934, une croix pectorale potencée et introduit divers symboles du scoutisme dans son anneau et certaines de ses mitres. De même qu’au Moyen-Age, la chevalerie suscite des ordres religieux militaires, le scoutisme engendre toute une spiritualité propre à guider une vie religieuse, et sa promesse se prolonge ainsi en vœux perpétuels. Le père Sevin souligne, dans ses “positions sacerdotales”, ce parallèle historique. “L’ère des croisades a vu naître au sein des ordres de chevalerie le moine chevalier, religieux et homme de combat, et à côté de lui le chevalier-prêtre, aumônier ou chapelain de l’Ordre de Malte, ou du Saint-Sépulcre. […]. Ainsi nous, formés naguère à la discipline et à la loi chevaleresque du scoutisme et redevables peut-être à cette formation de ce qu’il y a de meilleur en nous, vocation comprise, nous ne pensons pas que ce qui a été pour nous source de tant de Grâces doive nécessairement se tarir du fait de notre entrée dans la milice cléricale (milice = chevalerie) ; si incertain que puisse paraître l’avenir du Mouvement, dût-il même cesser d’exister, et indépendamment de toute appartenance à aucune association” (Père Sevin, s.j., point de départ des ” positions sacerdotales”, document dactylographié).

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