La nature comme école du sens de Dieu

Parmi les cinq buts du scoutisme, on trouve le sens de Dieu. Il ne faut pas le confondre avec la Foi ou quelque autre vertu théologale, et il ne fait pas double emploie avec l’enseignement religieux. Car il ne s’agit pas d’apprendre au scout que Dieu existe ou de lui en donner quelques notions, mais de l’habituer à considérer sa vie courante comme indissociable de sa vie chrétienne, et à sentir en permanence le regard de Dieu sur sa conscience. Il s’avère particulièrement difficile de faire comprendre aux enfants ou aux adolescents qu’ils ne se sanctifient pas seulement dans la prière, mais qu’ils peuvent spiritualiser les plus modestes et les plus banales de leurs actions. C’est justement ce à quoi s’attache le scoutisme, et c’est dans cette optique qu’il conseille l’étude de la nature. On se souvient que, parmi les premières initiatives de scoutisme catholique français, plusieurs refusent cette matière. Mais les SdF savent l’utiliser pour la bonne cause de l’Eglise : pour faire prendre conscience aux garçons que toute la création est faite pour les aider à sauver leur âme.

Déjà, la nature enseigne de nombreuses vertus nécessaires pour pratiquer la morale du scoutisme. “La vie dans les bois a une double valeur éducative : ascétique et contemplative. […] . L’attitude acquise en face des beautés naturelles […] est une excellente base à l’éducation de la pureté […] Il faut tenir compte des règles imposées à l’homme par les saisons et le climat, par tout l’ensemble des conditions données. Contact avec la réalité qui entraîne, en même temps qu’une éducation du jugement, un renforcement de la volonté et de la maîtrise de soi” (Père Michel de Paillerets, o. p., in BdL n°99, juin 1939, p. 268). “À l’enfant des villes et de la mécanique, il (le scoutisme) propose l’aventure de la vie des bois, de tous les jeux le moins artificiel et de tous les artifices le plus naturel […] le jeu le plus sain et […] le plus éducateur” (Mgr. Bruno de Solages, in BdL n°58, mai 1935, p. 261). Mais on pourrait croire ici à une condamnation d’inspiration rousseauiste “des villes et de la mécanique”. En fait, ” il ne s’agit pas de l’opposition romantique entre le méchant civilisé et le bon sauvage. Ce n’est pas la civilisation qui est en faute, mais cette civilisation […] de la science mise au service d’un idéal matérialiste de bonheur et de bonheur égoïste […]  civilisation conformiste, tendant à rendre les hommes semblables, à les sortir en série, à les imprégner d’idées toutes faites et d’opinions impersonnelles […] Il ne suffit donc pas de revenir à la nature oubliée ou méconnue, à moins qu’on ne déclare expressément qu’il s’agit de la nature créée et rachetée par Dieu, travaillée par la Grâce […] L’école de la nature n’est pas celle de la facilité, de la pure spontanéité, de l’épanouissement au soleil. C’est une école exigeante, contraignant l’homme à se posséder et à se dépasser […] . La nature est sans faiblesse pour les enfants boudeurs. Mais celui que l’échec, ou l’accident imprévu, l’orage ou le brouillard ne découragent pas est vraiment maître de soi” (Père Rimaud, in Le Chef, janv.1938, p.11 à 15).

Certes, “la nature est le moyen providentiel de toute instruction” (Père Sevin, s.j., Pour penser scoutement, Spes, Paris, 1934). Mais, il ne faut pas l’utiliser n’importe comment, au risque de tomber dans le naturalisme. Chez les SdF, on ne confond pas naturel et sauvage, on l’a déjà vu. Et un examen par correspondance pour obtenir la badge de bois, qui permet d’être chef , soulève le problème. Car les SdF s’acquittent extrêmement sérieusement de la formation de leurs chefs, notamment lorsque le père Sevin s’en occupe, de 1922 à 1933. Et les camps-écoles eux-mêmes sont précédés d’une préparation pendant toute l’année, à base d’examens par correspondance, dans Le Chef . “Le scoutisme neutre est exposé à verser dans le panthéisme et le naturalisme. Comment vous y prenez- vous pour profiter du contact avec la nature de manière à donner aux scouts une profonde impression de vie religieuse surnaturelle ?” (in Le Chef n°13, mars 1923, p. 179). Il existe donc bien une façon de faire éducative, tandis qu’un regard non éclairé sur la nature s’avère dangereux. “Il faut contempler (la nature) à la lumière de la Foi pour retrouver par elle les lois de la nature et le Créateur” (Brochure sur les journées nationales des 30, 31 octobre et 1er novembre 1937 à Paris). En effet, c’est encore sur saint Thomas d’Aquin que les SdF s’appuient, puisque sa philosophie enseigne comment remonter du sensible au spirituel, de la création au Créateur . On trouve dans ses écrits : “Toute la création est comme un miroir à notre usage, parce que de l’ordre, de la bonté, de la grandeur que nous constatons dans ces êtres que Dieu a faits, nous en venons à nous faire une idée de sa sagesse, de sa bonté, de son éminence à Lui” (Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia ad Cor., C13-14). De même, cette conception de la nature apparaît dans le serment anti-moderniste élaboré par saint Pie X : “Je professe que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu […] par les œuvres visibles de la création, comme la cause par son effet” (Pie X, “Pascendi”, 1907, Sion, Garches, p. 64).

De plus, on retrouve dans l’histoire des différentes spiritualités catholiques un modèle de contemplation et d’amour de la nature : saint François d’Assise. Patron des louveteaux à cause de l’histoire du loup de Gubbio, il est aussi l’auteur du fameux Cantique des créatures. C’est donc avec le même regard que les SdF doivent aborder la nature, et le chanoine Cornette parle des “vertus franciscaines que préconise la loi scoute” (Chanoine Cornette, in BdL n°46, mars 1934). Le scoutisme “éveille le sens du beau en apprenant à l’enfant à lire, avec les yeux de François d’Assise, dans le beau livre de la nature” (Chanoine Cornette, conclusion des SdF, bibliothèque catholique illustrée, Bloud et Gay, p. 55). “Qu’à son exemple, les SdF sachent découvrir les traces divines dans la nature” (Chanoine Cornette, in BdL n°50, jt.1934). Il ne s’agit évidemment pas des thèses panthéistes de parcelles de divinité présente dans toute la nature, et c’est pourquoi les SdF ont changé la formule équivoque du  VIème article (“Le scout voit Dieu dans la nature” devient en 1924 “le scout voit dans la nature l’œuvre de Dieu”). Il s’agit en revanche de découvrir Dieu à partir de la nature, selon le procédé philosophique déjà utilisé dans l’Antiquité grecque pour démontrer l’existence d’un premier moteur éternel et tout puissant. “Les cieux chantent la gloire de Dieu et le firmament proclame les chefs-d’œuvre de ses mains. Notre raison humaine, par elle-même, est capable de s’élever des effets aux causes, et de découvrir la Cause suprême” (Mgr. Lavarenne, La prière des chefs, coll° “La vie intérieure pour notre temps”, Bloud et Gay, 1937, p. 100-101). De même, saint Bernard affirme : “tu trouveras des choses plus grandes dans les forêts que dans les livres.” (épître CVI) .

De plus, la nature ne permet pas seulement de savoir que Dieu existe, mais aussi d’en connaître certaines propriétés. “Se servir de la nature crée par Dieu comme d’un signe particulièrement expressif de la puissance, de la beauté et de la bonté du Créateur” (Père de Paillerets, op.cit., p. 267). “Ce que le scout puise au contact de la nature […] , c’est la connaissance de la grandeur de Celui qui habille le lys des champs et nourrit les petits oiseaux, et de cet itinerarium mentis ad Deum, Baden-Powell compte bien qu’on saura Le servir” (Père Sevin, s.j., Le Scoutisme, Spes, Paris, 1922, p. 104). “Depuis que Notre Seigneur est venu et que la Révélation surnaturelle nous a été communiquée, nous devons chercher dans la nature des symboles, des ébauches du surnaturel” (Quelques notes sur l’organisation religieuse de l’Association SdF, brochure). Le Pape lui-même, dans son discours lors du pèlerinage de septembre 1925, souligne l’importance de l’étude de la nature dans la formation religieuse. “Pour être scout catholique, il faut […] un sentiment profond de Dieu, de sa loi divine, de sa divine présence qui harmonise les merveilles de la nature et en marque le point le plus exquis, le secret, l’enseignement le plus précieux” (Pie XI, Traduction française du discours de septembre 1925, éditions des SdF).

Il faut donc bien comprendre que la nature éduque dans un sens ou dans l’autre selon le regard qu’on y jette. Si certains la voit comme le cadre idéal de développement des instincts spontanés, d’autres en font une école de vertus morales, toujours dans le cadre religieux. Car, la nature constitue un élément supplémentaire pour faire comprendre au scout que les efforts qu’exige en permanence la confrontation avec la création (mauvais temps, peur de la nuit, etc.) sont inséparables de ses progrès spirituels vers le Créateur. Alors que les villes et la mécanique moderne donnent aux hommes l’illusion de pouvoir se passer de la toute puissance de Dieu, la vie dans la nature rappelle au scout la présence perpétuelle du Créateur, pour le juger comme pour l’aider.

Print Friendly, PDF & Email