Les Scouts de France,”chevaliers de l’Action Catholique”

Aux lendemains de la première guerre mondiale, le Pape demande une plus importante participation à l’apostolat de la part des laïcs, mais toujours sous le contrôle de la hiérarchie. L’idée d’Action Catholique (AC), déjà à l’état de germe chez Léon XIII et saint Pie X, se concrétise avec Pie XI, en 1922 , et donne naissance, en France, à plusieurs filières spécialisées : la JOC , Jeunesse Ouvrière Chrétienne, la JEC , pour les étudiants, la JAC , dans le domaine agricole, la JIC , Jeunesse Indépendante Chrétienne, plutôt bourgeoise, etc, toutes regroupées dans l’ACJF (Association Catholique de la Jeunesse Française) . D’autres mouvements d’adultes appartiennent aussi à l’AC, qui ne constitue une association centralisée qu’en 1930 . Pour leur apostolat, les laïcs reçoivent obligatoirement un mandat de la hiérarchie. La question se pose alors de savoir si les SdF appartiennent à l’AC ou pas, d’autant plus que l’AC dans son ensemble ne constitue, du moins jusqu’en 1930, qu’un état d’esprit incarné par de nombreux groupements. En tout cas, contrairement à la Fédération des SdF, l’AC n’entre jamais dans les normes de la loi de 1901 sur les associations.

En premier lieu, il faut détruire la légende des tensions entre les SdF et l’AC. Christian Guérin parle d’une “idée reçue consistant à faire accroire les mauvaises relations entre les SdF et l’AC en générale, et l’ACJ en particulier . […] . Ces bonnes relations seront du reste confortées par le passage du père Lalande, (aumônier scout) à l’aumônerie générale de l’ACJF en 1930″ (Christian Guérin, Éclaireurs SdF et signes de piste , 1990, p.102). Les deux œuvres rivalisent plutôt de courtoisies entre elles : lorsque l’ACF et l’ACJF se font représenter par leur secrétaire général en personne au quinz ième anniversaire de la Fédération Le Chef les cite en premier dans ses remerciements. Si les rapports s’avèrent souvent tendus entre les SdF et les patronages , c’est que la Fédération naissante concurrence fortement une institution plus ancienne, et florissante en son temps. Au contraire, avec l’AC , les SdF ont l’avantage de l’antériorité, et, de toutes façons, les deux mouvements ne touchent pas le même âge , sauf, pour le scoutisme, au niveau de ses routiers et chefs. Mais alors, pour accomplir leur devise de servir, beaucoup aident dans les filières de l’AC.

Plutôt que de se faire la guerre, les SdF et l’AC cherchent à allier leurs efforts, puisqu’ils servent le même but. “L’heure est venue de réaliser, sous la direction de la hiérarchie et de l’Action Catholique l’union de tous les efforts des groupements catholiques de jeunesse pour les reconstructions spirituelles du pays” (Chanoine Cornette, in BdL n°51, oct.1934). En février 1935, Le Chef recommande à ses lecteurs de s’inscrire à la JOC, ou du moins de s’abonner à son journal. Le Règlement général lui-même précise que le scoutisme doit collaborer avec les autres groupements catholiques : “Les SdF sont engagés à ne pas s’isoler des autres mouvements de jeunesse et à s’inscrire aussi volontiers dans les groupement de ces œuvres , où ils se rencontreront avec d’autres que des scouts” (Règlement général, La Hutte, Paris, 1935, article n°29, p.206). Et il pose même en principe de base pour tous les autres articles du règlement que cette coopération doit se faire sous le contrôle de la hiérarchie et de l’AC (Règlement général, op.cit., p.25). Les deux mouvements s’avèrent tout à fait complémentaires puisque le scoutisme éduque, assure la formation, et que l’AC lance ensuite dans l’action.

D’ailleurs, les SdF se vantent de remplir les autres mouvements d’âmes dévouées, responsables et énergiques. Il est vrai que de nombreuses œuvres puisent leurs chefs parmi les routiers ou les anciens scouts. Et la Fédération ne voit pas du tout ces départs comme des trahisons : c’est au contraire toute sa mission que de former des élites catholiques capables de prendre des responsabilités autre part. “Le scoutisme […] donnera, comme une conséquence obligée de son jeu, un renforcement et un appui à toutes les autres œuvres : cercles d’études, groupes de piété, services religieux, conférences de saint Vincent de Paul, équipes sociales, JOC, JAC, JIC, etc.” (Chanoine Cornette, in Le Chef de janv.1930, p.27). De plus, outre cette ardeur et cette générosité, les SdF donnent à leurs garçons une solide formation doctrinale, qui leur permet de prendre aisément des responsabilités dans des mouvements d’apostolat . Chaque passage de degré exige des connaissances religieuses, et de nombreux badges portent sur la matière, dont un minimum obligatoire s’ajoute aux épreuves pour obtenir ses classes (Chaque étape, la promesse, la deuxième classe, la première classe puis la distinction de chevalier de France, exige l’obtention d’un certain nombre d’épreuves, dans différents domaines (par exemple civisme, campisme, religion) . À côté, on peut obtenir des badges, ou brevets, dans toutes les matières scoutes. Ils n’ont théoriquement aucun rapport avec les passages de degrés, si ce n’est dans le domaine religieux, où un minimum de badges est requis pour progresser dans les étapes). L’aumônier général peut prétendre : “Nos épreuves de classe et nos badges de spécialité […] feront participer nos garçons, comme nos chefs à notre apostolat chrétien, à notre mission sacerdotale” (Chanoine Cornette, in BdL n°53, déc.1934). Ou encore : “Par les badges de spécialité et les épreuves de classe, nous apprendrons à nos garçons à vivre, à agir leur christianisme, à s’en faire, non pas théoriquement, mais pratiquement les défenseurs et les apôtres” (Chanoine Cornette, in BdL n°53, déc.1934).

Mais si le scoutisme s’avère une excellente formation à l’apostolat, il n’a pas besoin d’autres mouvements pour s’accomplir. Il ne se contente pas de préparer les ouvriers pour la moisson, mais travaille lui-même directement à rechristianiser la France. À tel point que le cardinal Verdier, archevêque de Paris, peut en dire : “ce sera peut-être le plus grand mouvement d’apostolat des temps modernes.”(Cardinal Verdier, in BdL de juin 1934, p.282). Seulement, il vise en premier la formation des garçons, tandis que l’AC les lance directement dans l’action. Éternel débat entre les deux méthodes : les uns trouvent dangereux d’envoyer des jeunes porter témoignage d’une chrétienté qu’ils sont peut-être loin d’incarner, les autres reprochent aux uns de trop retarder l’action. Finalement, l’ACJ préfère souvent comme cadres les anciens formés chez elle, que des scouts plaqués de l’extérieur avec leurs conceptions et leurs expériences propres. De toutes façons, les SdF trouvent largement en leur sein des occasions d’apostolat, et de quoi satisfaire la soif de sauver les âmes, qui doit animer tout scout à partir de sa promesse.

La revue Le Chef, également destinée aux CP, insiste sur leurs responsabilités dans la formation religieuse de leurs patrouillards . À peine plus vieux que le novice, le CP lui montre que l’adolescence ne va pas de paire avec le rejet des valeurs religieuses. Il incarne pour lui l’application de la loi scoute et le catholique accompli. Il a charge d’âmes, et devra en rendre compte à Dieu. “C’est à vous, CP, que je parle. Tout votre scoutisme est un ministère” (Père Sevin, s.j., Méditations scoutes sur l’Évangile , tome II, Spes, Paris, 1932, p.26). Le garçon s’habitue très jeune à l’apostolat, et sa formation profite à son entourage. Il doit se montrer “fier de sa Foi”. Un témoignage raconte : “Dans un de nos grands lycées de Paris, un petit scout de treize ans essaie -car le scout doit être un éclaireur d’hommes- de convertir un de ses camarades” (Ce qu’est le scoutisme , par les “troupes du Cardinal”, éditions des SdF, 1925).

Mais outre qu’il pousse ses garçons à l’apostolat, le scoutisme attire par sa pédagogie basée sur le jeu et convertit. “Dois-je rappeler aussi l’exemple particulièrement édifiant de cette troupe des environs de Paris où le prosélytisme scout devient du pur apostolat : les garçons qui y entrent doivent souvent commencer par recevoir le baptême” ( Ce qu’est le scoutisme , op.cit.). Les revues de l’Association racontent plusieurs expériences de jeunes filles qui s’introduisent dans des milieux complètement déchristianisés, où les prêtres ne pourraient pas pénétrer , regroupent autour d’elles les petits garçons, souvent abandonnés à eux-mêmes, et montent ainsi une meute de louveteaux. “Même officiellement catholique, il (le scoutisme) peut être un excellent moyen de pénétration dans des milieux à peine chrétiens . De très bonnes troupes catholiques ont été recrutées par nous dans des faubourgs communistes. Ailleurs, le scoutisme catholique a transformé complètement les jeunes détenus d’une école pénitentiaire” (in Le Chef n°14, avr.-mai 1923, p.191). Certes, les SdF, s’ils mettent en exergue leurs troupes populaires, touchent en réalité beaucoup plus largement les milieux bourgeois et aristocratiques. On ne peut pourtant minimiser leur œuvre de christianisation de jeunes très éloignés des milieux catholiques, dans une France où les clivages politiques, inséparables des conflits religieux, se calquent sur la géographie des quartiers et des couches sociales. “Le scoutisme commence à retenir l’attention des hommes d’œuvres. Grande est leur préoccupation de sauver les âmes, et ils sentent qu’il y a là un moyen neuf, original, de les y aider. […] . Tel prêtre de faubourg jette sur la foule qui lui échappe un regard où passe la mélancolie du Misereor Turbae. Il faut, dit-il, renouveler nos méthodes. Ces garçons ne veulent plus du patronage. […] . Notre attachement au scoutisme […] est aussi un attachement sacerdotal, un attachement de prêtres à cet instrument merveilleux de pénétration et de conquête” (Père Forestier, o. p., Scoutisme, méthode et spiritualité , Le Cerf, Paris, 1940, p.28).

Mais, même si les branches louveteaux et éclaireurs participent à la croisade, l’apostolat reste l’apanage des routiers . Arrivés au terme de leur formation , ils doivent apprendre à repenser l’idéal scout en termes d’adultes et, plus encore qu’auparavant, à le vivre au quotidien. Il est alors temps de concrétiser leur promesse de sauver. À la troupe, on éduque son caractère et on forme son âme, pour pouvoir, chacun de son côté, porter témoignage par ses connaissances doctrinales et surtout son exemple. Au clan, on organise ensemble des œuvres d’apostolat. “L’une des principales activités de nos routiers catholiques consiste à préparer la voie au clergé dans les zones rouges” (Dr. Picquenard, Qu’est-ce que le scoutisme ? imprimerie du nouvelliste, Rennes, 1929, p.9). Simple réalisation de leur devise. “Le scoutisme se propose enfin le service des autres. Il semble que le scoutisme anglais, lui, ait évolué plutôt sur le plan des services temporels. On s’y trouve dans un climat plutôt altruiste qu’apostolique. Et nous devons faire attention à n’en pas rester là. […] . C’est ici que, héritiers de la pensée catholique, les SdF, dans leurs meilleures réussites, ont dépassé les ambitions premières du scoutisme. Sans les démentir, ils les ont magnifiées. On a vu les scouts se faire pionniers de l’Évangile dans les lotissements, dans les bûcheronnages, inventer les Noëls routiers. […] . Et si nous savons leur faire partager notre hantise des âmes à sauver, les scouts, à l’atelier, à l’armée, seront non seulement serviables, mais comme le prolongement du sacerdoce en toutes ces terres déshéritées et disgraciées” (Père Forestier, op.cit., p.57). C’est toujours, en effet, des zones totalement déchristianisées que les routiers choisissent pour leurs Noëls , spectacles à thème religieux qu’ils organisent le soir du 24 décembre ou le 25 décembre, au sacrifice de leur propre fête familiale.

Les SdF semblent donc bien appartenir à l’AC, participation des laïcs à l’apostolat hiérarchique. Mais ils ne disposent pas du fameux mandat. Et la bénédiction de leur promesse par un prêtre ne peut en tenir lieu. Ils agissent donc bien dans l’Eglise et pour l’Eglise, mais ne font pas œuvre d’Eglise. Pourtant, “le secrétaire général de l’AC française, Mgr. Courbe lui-même […] a été très net : Les SdF, a-t-il bien voulu me dire en substance, font partie intégrante de l’AC , et je vous autorise à le dire en vous appuyant sur (mon) témoignage” (Père Forestier, op.cit., p.51). Et lorsque le cardinal Verdier se rend à Rome en 1933, avec les délégations de toutes les filières de l’AC, il propose aux SdF d’en composer une. Ils envoient alors sept commissaires. Mais cette proposition, qui paraît confirmer l’appartenance des SdF à l’AC, montre en fait que leur participation à ce pèlerinage n’a rien d’évident. Certes, la Fédération se soumet à l’AC, et, par exemple, si son aumônier général veut se choisir des adjoints, il doit soumettre leur candidature à l’agrément du secrétaire général de l’AC (Règlement général, op.cit., p.60). Et l’Association revendique haut et fort son appartenance au mouvement contrôlé par la hiérarchie. “Les Scouts de France font vraiment partie de l’AC et l’association des SdF est reconnue officiellement comme groupement d’AC” (in BdL , 1935). Les revues destinées aux chefs et aux aumôniers reviennent très souvent sur le sujet, et répètent sans cesse que les SdF sont une œuvre d’AC. Car cette soumission les place sous l’autorité de la hiérarchie ecclésiastique, ce qui leur tient particulièrement à cœur. “Cet idéal de chevalerie, nous ne pouvions mieux le réaliser qu’au sein de l’AC, dans la dépendance de laquelle nous avons été heureux de placer toute la direction de notre mouvement, toute son action apostolique” (Chanoine Cornette, in Le Chef n°102, avr.1933, p.258).

Mais en fait, les SdF n’appartiennent pas à l’AC au même titre que les autres filières, toutes organisées sur le même modèle, et contrôlées par l’autorité épiscopale. Les SdF gardent leurs particularités et leur hiérarchie interne, où, nous en reparlerons, le clergé ne domine pas le laïc dans la même mesure que dans les mouvements d’AC. Pourtant, sans en faire intégralement partie, ils incarnent très bien la définition de l’AC, et restent fidèles à son esprit. C’est finalement l’expression du Saint-Père qui les définit le mieux, lorsqu’en 1930, avec la fondation d’une association d’AC qui chapeaute tous les autres groupes, il faut bien élucider la position exacte des SdF en son sein : “C’était un soir de décembre, entre les fêtes de Noël et l’aurore de la nouvelle année. Nous fêtions notre Xe anniversaire. […] . Apparaît soudain une robe rouge : c’était l’archevêque de Paris, le cardinal Verdier. […] . <et vous, les scouts, vous serez les chevaliers de l’AC” (Chanoine Cornette, in Le Chef n°108, déc.1933, p.663-665). Expression que les dirigeants de l’Association aiment à reprendre, notamment le chanoine Cornette : “Par les concours que notre mouvement […] veut apporter à la famille et à l’école, pour les aider et travailler avec elles aux reconstructions spirituelles du pays, vous êtes les chevaliers de l’AC.” (Chanoine Cornette, in Le Chef n°108, déc.1933, p.663-665). De même, les responsables de l’AC reconnaissent volontiers ce titre honorifique. Le 31 décembre 1935, son secrétaire général, Mgr. Courbe, lève un toast : “Ce que signifie ma présence au cours de vos Journées nationales, c’est un salut affectueux, confiant, reconnaissant de l’AC française aux scouts, les <>!” (Directoire de l’aumônier , La Hutte, Lyon, 1941, p.29-30).

Les SdF ne font donc pas vraiment partie de cette association officielle d’AC, mais lui servent de modèle, en constituent la fine fleur. Ils sont ainsi conviés aux différentes réunions et activités, comme au pèlerinage des délégations à Rome, on l’a vu. De leur côté, ils essaient toujours de se conformer aux principes et aux exigences de l’AC, pour bien se placer dans le giron de l’Eglise. “<> Remarquons ici que l’Association des SdF se conforme admirablement à ce plan : ils n’entrent dans l’existence que par l’accueil de l’évêque […] Le plus grand nombre des troupes, au surplus, seront paroissiales” (Père Forestier, op.cit., p.53). Étudions donc maintenant cette affirmation de plus près.

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