La spiritualisation des devises

En plus de la loi, des principes et des vertus, chaque branche possède sa devise propre, qu’elle crie à chaque rassemblement. “De notre mieux” chez les louveteaux, ” être prêt ” chez les éclaireurs, ” servir ” pour les chefs et les routiers. La devise représente l’idéal à poursuivre le long de toutes les activités et, bien entendu, en permanence. Bien que le désir de tout faire de son mieux débouche sur une exigence de perfection tout à fait spirituelle, les écrits des SdF que nous avons consultés n’en parlent pas. Car le passage par la branche louvetisme reste temporaire, et surtout marqué par un enseignement oral , tandis que la promesse engage à suivre l’idéal éclaireur toute sa vie. Ensuite, même si tout le monde ne continue pas comme routier ou chef, ou les deux, on parle beaucoup de leur devise , car elle représente l’aboutissement de la formation scoute. Le garçon franc, pur et responsable est ainsi façonné pour faire profiter de ses qualités sa famille, la France et l’Eglise. Evidemment, les SdF ne prennent pas les devises de BP dans leur sens premier uniquement, mais leur donnent une dimension surnaturelle . “Les devises être prêt, servir, indiquent la disposition à la générosité du don de soi : à Dieu d’abord, aux autres ensuite” (Père Delmas, in BdL n°55, févr.1935). Ici encore, la valeur de l’acte change en fonction de son intention.

On comprend aisément ce que signifie “être prêt”. Il s’agit, en premier lieu, de pouvoir parer à toute éventualité, au niveau pratique, grâce à une technique bien assimilée, et au niveau moral, par une bonne maîtrise de soi. Les SdF adoptent avec d’autant plus de joie cette devise qu’elle se trouve dans l’Évangile. “Estote parati, soyez prêts , car vous ne savez pas à quelle heure le Fils de l’homme viendra.” ( Luc, XII, 40 ) . Dans le domaine spirituel, il faut ainsi s’attendre à tous les coups de la Providence, et, en particulier, garder toujours son âme disposée à comparaître devant le Juge divin. “Il faut que nous réussissions notre Vie! Pour la réussir, il faut être prêt! […] . Etre prêt, cela veut dire qu’au dernier appel de Dieu, il n’y aura en nous aucun obstacle qui puisse nous empêcher de nous lever de toute notre spontanéité pour recevoir la récompense. […] . Celui-là seul est vraiment prêt qui, de plein pied, peut entrer dans la Patrie” (Abbé Dorange, o.p., in BdL n°45, févr.1934). Le père Sevin met la devise en vers :
Sois prêt, comme un vrai scout, à répondre à l’appel :
Sois prêt à tout moment à partir pour le Ciel (“Etre prêt”, poème de 1920 (Père Sevin, s.j., Les chansons des SdF , Spes, Paris, 1936, p.292).

Les revues de l’Association racontent régulièrement des récits émouvants de morts attestant le calme des scouts, même des plus jeunes, prêts à mourir et persuadés de leur proche bonheur éternel. “Ce chef qui arrête, au péril de sa vie, un cheval emballé; blessé, il se contente de dire : “J’avais communié ce matin, je pouvais mourir, j’étais prêt.” ( Ce qu’est le scoutisme , par “les troupes du Cardinal”, éditions des SdF). C’est un jeune aspirant, victime de sa B. A., qui parle dans ce récit, cette fois-ci fictif, mis en chanson par le père Sevin :
Il se peut bien que j’en meure
Pour être prêt à tout instant
J’ai reçu tous les sacrements (“Les excuses de l’aspirant”, de 1920 (Père Sevin, Les chansons des SdF , Spes, Paris, 1936, p.138).

Et lors de la prière du soir, les scouts implorent Notre-Dame des éclaireurs, dans un célèbre cantique :
Garde-nous, âmes passagères
Toujours prêtes à mourir . (“Notre Dame des éclaireurs”, de 1920 (Père Sevin, s.j., Les chansons des SdF , Spes, Paris, 1936, p.258).

De même, le Manuel de piété des camps scouts donne cette prière : “Nous Vous demandons que […] votre appel nous trouve toujours prêts à rentrer dans la Maison du Père” (Chanoine Gros, Manuel de piété des camps scouts , Publiroc, Marseille, 1929, p.30). “Nous devons être prêts à toute volonté de Dieu sur nous, pour toute notre vie” (Chanoine Gros, op.cit., p.33). À la Toussaint, les recommandations du chanoine Cornette vont dans le même sens : “Qu’en ce mois de novembre qui débute par la fête de tous les saints […] , le SdF se promette souvent de compter toujours, en demeurant constamment dans l’état de Grâce, parmi ces saints, et de rester toujours prêt à répondre joyeusement à l’appel divin lorsque sera venu pour lui le moment de rentrer à la Maison” (Intention de prière pour les SdF, in BdL n°51, oct.1934).

On peut s’étonner de n’entendre parler que de mort, alors qu’une devise constitue un idéal de vie . Justement, la préparation quotidienne à passer dans l’autre monde dicte une conduite de vie pour tous les jours. Car il faut demeurer perpétuellement en état de Grâce. Comme le père de Foucault, missionnaire modèle des scouts, qui veut “vivre aujourd’hui comme devant mourir ce soir martyr” . C’est donc bien une doctrine de vie qu’engendre l’application du “toujours prêt” à la mort. On s’y entraîne chaque jour par l’acceptation de tous les imprévus dictés par la Providence. Bien que les SdF en parlent moins, la devise éclaireur demande de se mettre à l’écoute de sa vocation. Une intention de prière du BdL parle d'”être prêt à dire oui devant l’appel de Dieu” (Intention de prière pour le 24 mars, in BdL n°54, janv.1935). Enfin, le chanoine Richaud montre bien que, pour s’apprêter à la mort, il faut apprendre à vivre en permanence la devise et les autres préceptes scouts. “Je dois être, d’abord, prêt à combattre pour Dieu , ce qui signifie, non seulement que le respect humain ne doit pas effleurer mon âme […] , mais surtout que je dois me détourner rapidement de la tentation . […] . Je veux être de ceux qui savent tenir leur âme en ordre, pour être toujours prêts à communier, qui s’efforcent d’être toujours en état de Grâce. […] . Je dois être, mon Dieu, toujours prêt à mourir. Préservé, grandi par cette pure fraternité, par ces nobles enseignements trouvés à la troupe, je serai prêt pour entrer au Ciel” (Abbé Richaud, Veillées de prière, Téqui, Paris, 1928, 4e édition, p.12 et 14).

Quant à la devise des chefs et routiers, elle est aussi remise dans l’optique évangélique. “La Sainte Vierge dit : <>. Comme elle, offrons-nous humblement à servir” (Chanoine Gros, op.cit., p.32). Non seulement le service gratuit, accompli en esprit de Charité, acquiert des mérites pour le Ciel, mais, avec la Sainte Vierge pour modèle, le service de Dieu Lui-même est montré en exemple. ” (Le service scout) est un engagement libre et désintéressé au service du seul véritable Maître qui est le Christ Jésus” (Abbé de Grangeneuve, Notre promesse , La Hutte, Paris, 1932, p. 56). Et le père Sevin souligne le fossé qui existe entre l’esprit scout et les mentalités de son temps, empreintes d’individualisme… l’ordre scout est encore loin! “Au milieu d’un monde anarchique où le mot de service, au rebours de l’Évangile, est devenu synonyme d’abaissement et d’humiliation, où l’égoïsme ne se dissimule plus comme une tare […] , l’ordre scout réalise encore ce paradoxe de s’édifier sur le service et le dévouement, de faire des ambitieux à l’envers, des mercantis du désintéressement, des profiteurs du sacrifice personnel” (Père Sevin, s.j., in Le Chef n°79, janv.1931, p.3). Envers et contre tous, “le scout, c’est quelqu’un qui a compris la noblesse de servir! […] . Et comme la plus noble cause que l’on puisse servir est la cause de Dieu, le scout sert Dieu !” (Abbé Dorange, op.cit.).

En fait, qu’il s’agisse de la loi, couronnée par les principes, de la promesse ou des devises, les SdF spiritualisent tant la méthode de BP que se fonde dès 1924 une sorte de tiers-ordre féminin, appelé “les scoutes semeuses , destiné à celles qui veulent, personnellement et discrètement, chacune dans son milieu, vivre selon la loi scoute […] Voilà un recrutement tout trouvé de candidates pour le brevet supérieur d’instruction religieuse” (in l’ Echo paroissial de Saint-Pierre , à Beauvais, avr.1937). De même, une branche extension de “scouts allongés” permet à des garçons malades ou infirmes de faire du scoutisme catholique dès la fondation des SdF. Preuve que l’âme scoute prime sur tout le reste . Bien entendu, l’Association n’oublie pas la technique et les camps, incomparablement plus formateurs que n’importe lequel de ses livres théoriques. Seulement, les SdF mènent leur vie scoute dans une atmosphère bien plus surnaturelle, non pas tant par des activités supplémentaires (à part la messe quotidienne et les prières), mais par leur compréhension générale de l’esprit scout, à la lumière de la doctrine de l’Eglise. En tout cas, “être vivant, le scoutisme est d’abord une âme, une loi, une promesse, sans l’observation desquels tous les brevets du monde ne feront jamais un scout.” (Père Sevin, Pour penser scoutement, Spes, Paris, 1934, p.11).

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