La loi, revue et corrigée par le père Sevin

On peut s’étonner que les catholiques acceptent la loi de BP. Mais un idéal commun rapproche le fondateur du scoutisme des romains apostoliques : la chevalerie, antérieure à l’hérésie anglicane, et souvenir d’une Angleterre très chrétienne . BP choisit d’ailleurs comme patron du scoutisme celui des chevaliers, saint Georges. “La loi que sir Robert Baden-Powell, fondateur du mouvement, a dictée aux scouts du monde entier est une adaptation du code de la chevalerie qui, vous le savez, a été inspiré directement par l’Eglise catholique. Les SdF sont arrivés au terme logique en s’appuyant sur l’Eglise, qui fut le berceau de la chevalerie “(J. Lefebvre, in Le Chef n°2, avr.1922, p.25). C’est pourquoi le chanoine Cornette peut dire que “l’âme (des SdF) c’est la loi scoute vécue en esprit surnaturel” (Chanoine Cornette, préface de Notre Promesse, par l’abbé de Grangeneuve, La Hutte, Paris, 1932, p.7). Or cet esprit surnaturel ne nécessite aucun ajout de la part du scout : c’est la loi elle-même, du moins celle des SdF, qui l’engendre. À tel point que le père Sevin n’hésite pas à conclure ainsi l’un de ses fameux poèmes :

Ta loi scoute, elle est sainte, elle sent bon l’Évangile
Tu peux en être fier, c’est la loi de Jésus.

Mais si le père Sevin se permet cette affirmation, c’est grâce à sa refonte de la loi, à laquelle il apporte une dimension surnaturelle intrinsèque, absente chez BP. Certes, nous ne connaissons que le point de vue des aumôniers, principaux auteurs des articles comme des ouvrages SdF de l’entre-deux-guerres. On dispose de quelques écrits de chefs, mais très peu de témoignages de scouts. Il paraît donc difficile de juger la façon dont les garçons comprennent et appliquent leur scoutisme, puisque les seuls dont on parle sont les plus exemplaires. Il est évident que les SdF tentent de transmettre même aux plus jeunes de leurs adeptes leur conception fondamentalement catholique de la pédagogie de BP, par la revue destinée aux scouts, par les chants divulgués dans les troupes, et surtout par la formation extrêmement sérieuse donnée aux chefs. Il reste cependant difficile de connaître les résultats de tous ces efforts. Mais la spiritualisation intrinsèque de la loi entraîne obligatoirement le garçon qui veut devenir un bon scout à se sanctifier en même temps, et il ne peut plus choisir le scoutisme seul en laissant de côté l’aspect religieux.

Les SdF s’attachent, toujours dans la même optique, à repérer dans le Nouveau Testament des références pour illustrer la loi, et Mgr. Tihamér Toth, évêque hongrois, en trouve ainsi une par article. On est alors tenté de se demander l’utilité de la loi scoute, si les préceptes qu’elle définit existent déjà dans les Écritures. Seulement, les exigences évangéliques ne sont formulées nulle part sous forme d’articles concrets et faciles à retenir. Certes, le Décalogue résume la loi de Dieu en dix commandements. Mais leur formulation négative rebute facilement l’adolescent , et, de manière générale, dresse la liste des interdictions sans prescrire le bien à faire. Au contraire, la loi du fin pédagogue qu’est BP, quoique plus exigeante par la générosité et la magnanimité qu’elle prescrit, s’avère beaucoup plus attrayante. Elle sait faire vibrer les forces vives de la jeunesse. Quant au père Sevin, outre qu’il s’instruit intelligemment à l’école de BP, il dispose certainement lui-même de qualités de psychologie : ses apports à la loi scoute le prouvent. Le chanoine Cornette la décrit comme “l’expression concrète des pures maximes de l’Évangile, traduction en formules brèves et claires, ad mentem adolescentium, des principes posés par le Décalogue et le sermon sur la montagne.”(Père Sevin, Pour devenir SdF , op.cit., p.34). Car la loi scoute, du moins celle du père Sevin, ne reste pas au niveau de la morale prescrite dans l’Ancien Testament : elle mène, à la suite du Christ, sur les traces de la Croix et de la Rédemption. On se propose donc d’étudier la démarche du père Sevin article par article, pour saisir sa conception de l’esprit scout, que doit modeler la loi.

Le premier article de BP, “l’honneur d’un scout est d’inspirer confiance” devient “le scout met son honneur à mériter confiance”. D’inspirer à mériter, on passe d’une simple image extérieure à une notion de conscience interne. Il ne suffit plus que les autres aient confiance, il faut aussi qu’en son for intérieur, le scout s’accorde à l’impression qu’il donne, et qu’il accepte l’estime générale seulement s’il la mérite. L’abbé de Grangeneuve souligne cette question de conscience : “Le scout qui, pour se tirer d’affaire, ne recule pas devant un mensonge, se préfère à la vérité et s’écarte du regard de Dieu qui l’a vu” (Abbé Richaud, Veillées de prière , Téqui, Paris, 1928, 4e édition, p.65). D’autre part, la franchise trouve son origine dans l’Évangile : “Que votre langage soit simplement : oui, oui…non, non.” (Matt. V, 37) (Cité par Mgr. Tihamér Toth, dans son sermon de Gödöllö, in BdL n°42, nov.1933, p.47-48). De plus, elle dépasse le simple amour de la vérité naturelle, pour engendrer une recherche de la Vérité absolue. “Sincérité des paroles, sincérité des regards, sincérité du cœur. C’est cela qui crée cette atmosphère de confiance, de droiture claire et de charité que l’on respire chez nous : l’air du bon Dieu, qui est Vérité.” (Père Sevin, s.j., in Le Chef n°79, janv.1931, p.7). Le père Maréchal, aumônier dominicain, explique admirablement cet article: “Culte spécifique du scout pour la Vérité -pour la Vérité révélée par le Christ et incarnée en Lui qui est notre Lumière; pour la vérité vécue au dedans de nos cœurs et manifestée au dehors par nos paroles et par nos actes” (Père Maréchal, o.p., SdF et ordre chrétien , éditions de la Revue des Jeunes, 1932, p.71).

Quant au deuxième article SdF, “le scout est loyal à ses parents, son pays, ses chefs et ses subordonnés”, il reprend exactement celui de BP, dont il ne retire que la mention au Roi . Lui aussi s’avère un écho de l’Évangile : “Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.” (Marc, XII, 17) (Cité par Mgr. Tihamér Toth, dans son sermon de Gödöllö, in BdL n°42, nov.1933, p.47-48). Or l’obéissance aux chefs d’État annihile les accusations d’embrigadement de la jeunesse, obligée d’écouter sans réfléchir ses supérieurs scouts, eux-mêmes soumis à des chefs occultes. Cette dénonciation, plusieurs fois émise, oublie que le deuxième article n’exige pas uniquement l’obéissance aux chefs de l’Association, ce qui prendrait effectivement des allures de secte, mais à tous les supérieurs que la Providence place au-dessus du garçon. Dans son fameux poème sur la loi, connu de la plupart des SdF, puisque le recueil de chansons dans lequel il figure est très répandu, le père Sevin souligne cet aspect.

Elle (ta loi) te veut loyal aux ordres que t’intiment
Ton pays, tes parents, même un chef de hasard
Elle doit plaire au Dieu qui voulait qu’à César
On rendît le denier de l’impôt légitime. (3) .

D’autre part, la loyauté envers les subordonnés engage très loin le chef catholique. Il s’agit, bien entendu, comme pour n’importe quel autre, d’assumer ses responsabilités, les conséquences glorieuses comme les mauvais résultats d’un ordre donné. Mais le catholique a, en plus, charge d’âmes. Il devra en rendre compte au Juge suprême. Tout manquement à son devoir entraîne des suites spirituelles, pour ses subordonnés, et par suite pour lui. On dépasse alors largement le simple sens des responsabilités ou, du moins, il s’agit du même esprit, mais à un degré supérieur.

Au contraire du deuxième article, le troisième change beaucoup de BP au père Sevin. “Le devoir d’un scout est de se rendre utile et d’aider son prochain” devient “le scout est fait pour servir et sauver son prochain” . Deux grandes différences séparent ces deux formulations : d’abord, “le scout est fait pour “, ensuite, le choix des verbes ” servir et sauver “. La première transforme ce simple article de la loi en véritable fin du scoutisme, en but ultime de la loi. “L’essence du scoutisme, la raison d’être du scout, c’est l’article III. […] . Tout le reste de la loi, toutes les activités si prenantes du scoutisme n’ont qu’un but : me préparer, me rendre capable, me rendre digne de ce dévouement. Etre prêt pour servir.” (Abbé de Grangeneuve, Notre promesse , La Hutte, Paris, 1932, p.41).

De plus, les termes de “servir et sauver” donnent une nouvelle dimension au troisième article. Pour commencer, on perd la notion d’utilité car le catholique rend service pour Dieu bien plus que pour obtenir un résultat terrestre concret. “On objecte : les scouts doivent servir : à quoi servez-vous? Et ils répondent : nous n’avons pas promis de servir à quelque chose mais de servir Quelqu’un -Dieu d’abord, en observant de mieux en mieux les commandements; notre prochain, sans doute par les menus actes de dévouement que nous ne laisserons pas échapper, mais surtout en l’aidant lui-même à monter vers Dieu.” (Père Sevin, s.j., Le Scoutisme , Spes, Paris, 1922, p.289). Bien entendu, le scout doit rechercher l’efficacité, et le père Sevin déplore le manque de formation (secourisme, débrouillardise, etc.), qui empêche souvent de se rendre utiles les âmes pourtant de bonne volonté. Seulement, la hiérarchie des idéaux place en tête le service gratuit, dont l’effort demeure méritoire au regard divin, quelle que soit son efficacité réelle. D’ailleurs, l’expression “appelé à plus haut service”, qui signifie dans les revues anglaises le départ pour l’éternité, prend dans les revues SdF le sens de vocation sacerdotale ou religieuse . En effet, servir appartient au vocabulaire évangélique. “Le Fils de l’homme est venu pour servir” (Mt, XX, 27) .

De même, “Le Fils de l’homme est venu pour sauver.” (Mt, XVIII, 11) . Car si les sauvetages des scouts anglais, principalement lors de noyades, parfois au détriment, toujours au péril, de leur propre vie, sont présentés par BP comme l’accomplissement parfait du troisième article, les SdF entendent avant tout sauver les âmes . Cette loi les appelle à l’apostolat, à la prière et aux sacrifices. Le troisième article trouve donc, chez eux, son aboutissement complet dans la vocation sacerdotale ou religieuse. “C’est au moral plus encore qu’au physique que les SdF l’entendent (l’article III) . Leur scoutisme est ministère, leur dévouement, apostolat et […] nos chevaliers de France ont pour idéal et pour mission d’être, comme celui qui préparait les voies du Seigneur, les éclaireurs de Dieu.” (Père Sevin, Le Scoutisme , op.cit., p.306). Après son assimilation avec saint Jean-Baptiste, c’est au Christ même que le scout doit ressembler . “Vous êtes le Sauveur du monde, le Sauveur de notre France, le Sauveur de nos âmes… et nous voulons aussi être, à notre manière, des sauveurs. […] . Si je veux être scout, jusqu’au bout, et de la façon la plus noble, il faut que je songe à secourir non seulement les corps, mais encore les âmes de mes frères. […] . Fait pour servir et sauver ton prochain, tu dois agir sur les autres dans le sens du bien et de la vérité. Dieu seul […] , peut ébranler une volonté. […] . Le plus court chemin pour gagner le cœur des hommes est de passer par celui de Dieu .” (Abbé Richaud, op.cit., p.18, 42 et 96). Car si l’ambition des SdF monte beaucoup plus haut que les autres scouts, ce n’est pas signe d’orgueil. Quand on demande au garçon de se faire sauveur à l’image du Christ, on lui rappelle en même temps qu’il n’obtient rien sans la prière, puisque ce n’est pas lui, mais Dieu, qui convertit. “Nos scouts, acceptant le devoir très doux de seconder l’action de la Grâce, veulent mériter qu’on les appelle en un sens exact, sauveurs du prochain.” (Discours de Mgr. l’évêque d’Agen du 14 oct.1934, in BdL n°52, nov. 1934). Mais le scout sait-il tout ce que ses fondateurs attendent de lui? Sans doute. Non seulement leurs aumôniers le leur répètent certainement, mais on en trouve des recommandations dans des livres à très forte diffusion, comme le Manuel de piété des camps scouts , édité en format de poche pour permettre au garçon de le porter toujours sur lui. Dans l’examen de conscience à faire chaque soir, en reprenant un à un les articles de la loi, le scout se demande : “Ai-je oublié qu’il faut servir (BA matérielles) et sauver (BA spirituelles, surnaturelles, bien fait aux âmes) ?” (Chanoine Gros, Manuel de piété des camps scouts , Publiroc, Marseille, 1929, p.36).

Le scout est l’ami de tous, et le frère de tout autre scout “. Par rapport au quatrième article de Baden-Powell , le père Sevin supprime la mention “à quelque classe sociale qu’il appartienne “. C’est pourtant un problème qu’il évoque souvent, mais il argue que c’est évident pour quiconque pratique le scoutisme. Cette loi est rapprochée du précepte du Christ : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même.” (Marc, XII, 31) (Cité par Mgr. Tihamér Toth, dans son sermon de Gödöllö, in BdL n°42, nov.1933, p.47-48). Et le père Sevin exige plus qu’une simple amitié, il l’élève jusqu’à la Charité . “Aimez vos ennemis, rendez service à ceux qui vous détestent; ceux qui se moquent de vous, gagnez leur cœur et faites-en des scouts, et priez pour ceux qui suscitent des embarras à votre troupe et qui calomnient mes scouts et le scoutisme, n’y comprenant rien. Le beau mérite de n’aimer que ceux qui vous aiment. Le scout est l’ami de tout le monde.” (Père Sevin, s.j., Méditations scoutes sur l’Évangile , tome II, Spes, Paris, 1932, p.21). On retrouve ici les préceptes de l’Évangile. Quant à la vision des SdF sur la fraternité scoute, nous y reviendrons dans un prochain chapitre.

Au “scout est courtois” de BP, le père Sevin ajoute ” chevaleresque “, ce qui implique tout un registre de références, tout un code d’honneur et de religion. Certes, Baden-Powell présente les chevaliers comme des modèles pour les scouts, mais entre autres modèles, comme les pionniers. Quant aux SdF, ils s’assimilent tout à fait à l’esprit des ordres médiévaux , et cherchent à devenir les chevaliers des temps modernes. Le soldat du Christ devient ainsi le modèle par excellence du scout, celui que l’ont promet d’imiter toute sa vie, et non plus un exemple à suivre parmi d’autres. Par ailleurs, le père Sevin assimile la courtoisie à une vertu chrétienne : “Etre courtois, c’est se conduire comme ceux qui sont à la cour d’un Roi. Tu es toujours en présence du Roi des Rois, NSJC : respecte-Le donc en ceux qui t’approchent.” (Père Sevin, s.j., Pour devenir SdF , Spes, Paris, 1931, p.30).

Le VIème article passe d’une conception aux échos naturalistes, “le scout est bon pour les animaux”, à une vision plus franciscaine : “le scout voit Dieu dans la nature, il aime les plantes et les animaux” (on garde ici la première version du père Sevin même si, comme on l’a vu, elle change en 1924 ) . Avec la mention à Dieu , le père Sevin donne la raison surnaturelle de cet amour, qui ne se borne pas aux animaux, mais englobe toute la création divine. “Certains disent que nous avons ici le <..> imprimé sur la loi. […] . Mais rien ne nous empêche, nous catholiques, d’y retrouver l’influence de saint François d’Assise.” (Père Sevin, Le Scoutisme , op.cit., p.40). L’aumônier fondateur précise qu’il s’agit surtout de lutter contre les instincts cruels et destructeurs des enfants. “Cette règle repose sur un fondement religieux : on doit respecter la vie, présent de Dieu, et tous les êtres vivants, créatures de Dieu.” (Père Sevin, Pour penser scoutement, Spes, Paris,1924.). Mais il se garde de toute tendance au panthéisme : “Aime la nature, non comme une personne ou une portion de la Divinité, mais comme l’œuvre de Dieu, dont elle est le temple. (Envers les animaux), évite également la sensiblerie ridicule et la méchanceté inepte.” (Père Sevin, Pour devenir SdF , op.cit., p.31). D’ailleurs, l’amour de la création ne se borne pas aux plantes et aux animaux : il englobe tous les dons du Ciel, et devient soumission à la Providence, à la volonté divine.

Ensuite, on peut reconnaître dans les articles VII, IX et X la reprise des trois vertus monastiques : obéissance, pauvreté, chasteté . La version de BP, “le scout obéit aux ordres de ses parents, de son CP, de son SM sans récriminer”, devient “le scout obéit sans réplique et ne fait rien à moitié”. L’obéissance puise ses sources dans les Écritures : “Enfants, obéissez à vos parents dans le Seigneur, car cela est juste.” (Éphésiens, VI, 1) (Cité par Mgr. Tihamér Toth, dans son sermon de Gödöllö, in BdL n°42, nov.1933, p.47-48). Mais, comme on en expliquait tout à l’heure la raison, l’article catholique élargit l’obéissance et l’érige en principe absolu, sans la restreindre aux seuls supérieurs scouts ou familiaux. “Obéir, ce n’est pas exécuter un ordre par crainte d’ennuis ou de punitions, ou parce que la chose commandée te plaît, ou parce que tu aimes celui qui commande ; mais obéir, c’est renoncer librement à ta volonté pour accomplir celle de Dieu qui t’est manifestée par un supérieur, parent ou chef. […]. Un seul cas, où tu as non seulement le droit mais le devoir de refuser obéissance : si ce qu’on te commande est un péché, véniel ou mortel.” (Père Sevin, Pour devenir SdF , op.cit., p.31). Principe absolu, certes, parce que l’on obéit à tout supérieur et dans une optique surnaturelle, mais aussi tempéré par l’Absolu, justement, qu’il faut choisir par dessus tout en cas de conflit entre l’ordre reçu et la morale. C’est pourquoi Mgr. Tihamér Toth cite aussi, au sujet de cet article, une autre phrase des Épîtres : “Obéissez à ceux qui vous conduisent, car ils veillent sur vos âmes et devront en rendre compte.” (Hébreux, XII, 17) (Cité par Mgr. Tihamér Toth, dans son sermon de Gödöllö, in BdL n°42, nov.1933, p.47-48). À partir du moment où le principe d’autorité est faussé, où le chef ne veille plus sur l’âme de ses subordonnés, l’obligation d’obéir se dissout. Avec l’ ajout du père Sevin “ne rien faire à moitié” , cet article introduit une véritable exigence de perfection . Effectivement, ne rien faire à moitié entraîne, déjà dans les petites choses, à réfléchir avant de se lancer au hasard, à considérer les objectifs et les moyens, et à persévérer dans tout effort commencé. À plus grande échelle, il s’agit de vivre son scoutisme catholique pleinement et d’atteindre la perfection de la sainteté .

“Le scout sourit et siffle dans les difficultés “. Le père Sevin commence par changer le verbe siffler pour chanter , terme tout de même plus liturgique. De plus, il introduit l’article avec : “le scout est maître de soi “. Il explique ainsi le but de la bonne humeur permanente, et, comme dans le premier article, exige une adéquation exacte entre l’apparence extérieure et la réalité intérieure. Enfin, la bonne humeur des SdF puise sa source dans la religion. C’est pourquoi le verbe siffler ne convient pas. On trouve dans les Écritures : “Réjouissez vous en tout temps dans le Seigneur, je le répète, réjouissez vous. Que votre bonne humeur soit connue de tout le monde!” (Philippiens, IV, 4) (Cité par Mgr. Tihamér Toth, dans son sermon de Gödöllö, in BdL n°42, nov.1933, p.47-48) ). Les scouts “ne seront pas seulement résignés dans la peine, ils devront être joyeux et chanter, comme le veut saint Jacques.” (Épître de saint Jacques, V, 13) (Ce qu’est le scoutisme , par les “troupes du Cardinal”, éditions des SdF, 1925). En fait, la bonne humeur des SdF préfigure déjà la vision béatifique, elle n’a rien du rire grossier ou des plaisirs vulgaires. “On n’a jamais de bonne raison d’être triste, mais on a toujours trois motifs d’être joyeux :

a) pour faire honneur à Dieu […] ,

b) par charité pour les autres […] ,

c) pour rester bon : qui s’ennuie bientôt s’amuse, et souvent comme il ne faut pas. Un secret pour être toujours joyeux : […] se garder en état de Grâce, et si on n’y est plus, s’y remettre au plus vite par la contrition et la confession qui rendront, avec la Grâce de Dieu, la paix de l’âme, l’élan, la joie.” (Père Sevin, Pour devenir SdF , op.cit., p.32 et 33). Dans sa vision de l’ordre scout, société qui vivrait de l’esprit scout, le père Sevin imagine “la Joie remise à sa place dans la vie des hommes, pour qui elle est un devoir, une obligation et l’apprentissage de notre bonheur éternel; et réinstallée dans la religion qui est la Grande Joie apportée au monde.” (Père Sevin, in Le Chef n°79, janv.1931, p.4). Le père Sevin tient d’ailleurs à bien enseigner cette notion, même aux plus jeunes scouts, et il l’introduit dans ses chansons :

Nous chantons car pour nous la vie est belle,
Nous croyons, notre joie est éternelle.

Dans le chant “La joie scoute”, de 1928 (Père Sevin, s.j., Les chansons des SdF , Spes, Paris, 1936, p.32) .

Et le chanoine Cornette, dans l’intention de prière qu’il expose chaque mois dans le BdL , rappelle bien leurs devoirs aux aumôniers : “Que la joie de vivre dont témoigne habituellement celui qui vit à la scoute (article VIII) ne fasse pas oublier aux SdF qu’ils doivent surnaturaliser leur joie par la pensée du glorieux alléluia de la Résurrection.” (Intention de prière pour avril, in BdL n°55, févr.1935).

De même, “le scout est économe” prend une valeur spirituelle. Il s’agit plutôt, chez les SdF, de détachement . Le père Sevin supprime l’obligation d’économiser (en Angleterre, il faut avoir au moins six pence à la Caisse d’épargne pour obtenir sa seconde classe, et un shilling pour la première) . Il considère plutôt l’économie comme l’absence de dépense, donc l’esprit de pauvreté, que comme l’amas de l’épargne. “Ce n’est pas simplement pour des raisons économiques et sociales que le scout doit être économe, il faut que ce soit par amour de l’Enfant de Bethléem, de l’Ouvrier de Nazareth, du Dieu mort nu en croix.” (Père Sevin, Pour penser scoutement , op.cit., p.151). Les autres aumôniers partagent cette interprétation. “Le Christ nous a libérés de l’esclavage des biens périssables. Le scout usera de ces biens sans prodigalité (article IX) .” (Abbé Grégoire, in BdL n°56, mars 1935). De plus, le père Sevin ajoute à l’économie, le “soin du bien d’autrui”. Il explique lui-même cet apport : ” (La loi scoute) n’omet du Décalogue que… la Justice (respect de la vie et du bien d’autrui) . Mais puisqu’elle entraîne à sauver cette vie et ces biens, elle suppose vraisemblablement qu’on les respecte, et l’on est mal venu à reprocher d’oublier la justice à qui prêche le dévouement.

(Note : Les SdF ont cependant jugé à propos de combler cette lacune.” (Père Sevin, Le Scoutisme , op.cit., p.46). Le neuvième article de BP devient, en réalité, détachement, pour soi, et économie, pour les autres. On évite ainsi le matérialisme et l’esprit bourgeois capitaliste, très anglais, de la prescription initiale).

“Le scout est propre dans ses pensées, ses paroles et ses actes”. Quand BP dit propre, le père Sevin dit pur et il souligne lui-même, contrairement à ses habitudes, la différence d’esprit entre l’article anglais et le sien. “On peut regretter que les fondateurs du scoutisme ne posent pas toujours la pureté assez nettement sur son vrai terrain et s’inspirent parfois peut-être plus de considérations d’ordre social, préservation et relèvement de la race et de l’individu, que de raisons d’ordre surnaturel et chrétien.” (Père Sevin, Le Scoutisme , op.cit., p.44). Lui s’appuie sur l’Évangile. “Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu.” (Matt., V, 8) (Cité par Mgr. Tihamér Toth, dans son sermon de Gödöllö, in BdL n°42, nov.1933, p.47-48). Et toujours dans son rêve de société dominée par la loi scoute, il décrit : “C’est enfin, l’ordre scout, la Pureté aux yeux clairs […] qui n’admet pas les contrefaçons et les profanations de l’amour, et qui seule peut apprendre aux chrétiens et aux chrétiennes comment ils doivent se respecter, se sourire et s’aimer” (Père Sevin, s.j., in Le Chef n°79, janv.1931, p.4). Le père Sevin replace la pureté dans son cadre chrétien :

Elle (ta loi) te dit : sois pur en ton corps et ton cœur
Et que ton âme blanche ainsi qu’un lis émerge
Elle doit plaire au Dieu qui naquit de la Vierge.

(Poème sur “la loi scoute”, de 1921 (Père Sevin, s.j., Les chansons des SdF , Spes, Paris, 1936, p.290)

Enfin, le père Sevin donne toute son importance à la pureté. Car si les autres articles peuvent éventuellement relever d’une morale laïque, la pureté demande une vigilance et une force que seule l’Eglise peut procurer. La pureté mesure donc la qualité de la vie catholique. Elle constitue d’ailleurs, avec la franchise et le dévouement, une des trois vertus principales des SdF (encore un ajout du père Sevin à la pédagogie initiale), mais c’est elle qui conditionne le reste. “Cette règle est la clé de toutes les autres. Car sans pureté, pas de franchise, pas de dévouement, pas de charité, et point de joie. Sans pureté, rien.” (Père Sevin, Pour devenir SdF , op.cit., p.34).

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