Œuvrer pour un “retour en chrétienté”

Pour comprendre la fondation des SdF, et leur spiritualisation systématique de la pédagogie anglaise, alors que les autres associations catholiques l’adoptent telle quelle, il faut se remettre dans le contexte historique français. Le pays sort terriblement affecté de la première guerre mondiale , par le nombre de ses fils perdus, comme par sa population d’anciens combattants traumatisés à vie. Une grande idée hante alors les esprit : la nouvelle génération et la France de demain doivent se montrer dignes de tous les sacrifices de la guerre. C’est la “relève sur les tombes” , que prônent le père Doncœur et son ami Forestier. Dans un article intitulé “la reconstruction spirituelle du pays, les SdF” , le père Doncœur conçoit ainsi sa mission : “Si ce n’est pas pour bâtir un monde nouveau que nous survivons, non seulement nos camarades morts sont trahis, mais nous-mêmes maudissons le jour où nous avons échappé. Un monde nouveau à bâtir! Ah! c’est pour cela qu’au-dessus des tombes, comme le moissonneur au-dessus des sillons, nous épions les promesses des blés nouveaux” (Père Doncœur, s.j., La reconstruction spirituelle du pays, les SdF , in Etudes n°5 du tome 186e, mars 1926, p.534-535, publié à La Hutte, Paris, 1926).
Dans les milieux catholiques, les soucis remontent bien au-delà de 1914. La France d’avant-guerre voit triompher l’anticléricalisme avec, en 1901, la dispersion des jésuites, des bénédictins, des chartreux et autres congrégations, en 1904, l’interdiction d’enseigner pour toutes les congrégations, et surtout, en 1905, la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat . C’est ainsi que Sevin et Doncœur s’exilent en Belgique pour y suivre le noviciat jésuite. Impossible de réagir : lors des inventaires, la police montre qu’elle n’hésite pas à déployer violemment sa force pour faire respecter les décisions gouvernementales. Mais la guerre donne aux catholiques l’occasion de relever la tête. Malgré les interdictions, de nombreux officiers arborent le Sacré Cœur, souvent sur eux, parfois même sur les drapeaux . Beaucoup de prêtres s’infiltrent secrètement dans les armées pour soutenir le moral des troupes, dire la messe pour les soldats, et administrer les derniers sacrements aux mourants. Si le père Sevin n’obtient pas la permission de ses supérieurs de s’engager sur le front, le père Doncœur rentre clandestinement en France, et participe à la bataille de Verdun en tant qu’aumônier militaire. Son courage et son dévouement le font largement connaître et apprécier.
En 1918, l’Union sacrée, ou suppression des haines politiques pour la durée de la guerre, se prolonge, et, avec elle, la suspension des mesures anticongréganistes. Pour les catholiques, l’heure de la reconquête a sonné. Lors de la victoire du Cartel des gauches, en 1924, le père Doncœur ose répliquer, face aux nouvelles menaces . Il se sait soutenu dans sa campagne par tous les milieux d’anciens combattants. Les catholiques entendent alors reconstruction du pays par rechristianisation de la France. Et c’est au père Doncœur que nous avons emprunté le titre de cette partie, car son oeuvre de relève sur les tombes ne se sépare pas des idées qu’il expose dans les Retours en chrétienté .

Le scoutisme apparaît alors comme un moyen exceptionnel de former la nouvelle génération, notamment parce que la prise en charge du novice de 12 ans par son CP de 16 ans pallie à la disparition de leurs aînés . Notre mouvement […] est une des nécessité de l’heure présente, une espérance pour la garde et la défense de notre civilisation chrétienne” (Chanoine Cornette, in Le Chef de déc.1933, p. 663).

Il faut donc bien replacer les SdF dans cette optique d’engendrer une jeunesse digne des sacrifices de la guerre et capable de redonner à la France son nom de Fille aînée de l’Eglise. Dans le journal n°26 des vaillants compagnons de Saint-Michel (Disponible au laboratoire scout de Riaumont), en janvier 1922, l’abbé de Grangeneuve cite, en première page, P. Lamouroux, mort au combat : “Je crois que nous n’avons aucune idée de ce qui se passera au point de vue intellectuel et religieux au lendemain de la guerre. Je vois poindre l’aube d’une grande renaissance chrétienne, qui dépassera infiniment, en conséquences et en qualité, l’autre, celle du XVIème siècle”. Et l’aumônier SdF en conclut : “C’est en grande partie de toi et de tes camarades scouts qu’il dépend que cette vision d’avenir soit une réalité et non une illusion […] Ceux qui allait mourir ont mis en toi leur espérance, petit Français de l’après-guerre; tu ne voudras pas trahir leur confiance”. Quant au père Héret, il parle de “notre B. A. nationale : rechristianiser la France.” (Père Héret, o.p., Première retraite des aumôniers scouts , Spes, Paris, 1927, p. 16). Or l’idéal chevaleresque du scoutisme s’adapte à merveille à cette fin : “En fondant les Scouts de France, oui, vraiment, c’était bien une croisade que nous prétendions lancer.” (Père Sevin, s.j., Pour penser scoutement , Spes, Paris, 1934, p. 169)

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